C’est difficile à croire quand on peut se faire livrer une pizza(*) d’un simple message vocal depuis son divan, mais à la base, notre cerveau est conçu pour résoudre des problèmes liés à notre survie dans un environnement extérieur instable et rempli de danger.
(*) Non, non, cet article n'est pas sponsorisé par Pizza a Casa !
Journaliste de formation
Pionnier de la formation "écrire pour le web"
Auteure de "Bien rédiger pour le web",
Eyrolles, 4e édition (la 5e est en cours)
Ce dossier est totalement innovant et exclusif. Il nous a demandé des heures de recherche. Merci, en conséquence, de respecter les droits d’auteur. Toute reprise de contenu textuel ou visuel devra faire l'objet d'une autorisation écrite des auteurs. Merci et bonne lecture :-)
Dans la logique de survie dans laquelle le cerveau humain s'est développé, les événements chargés d’émotion ont tendance à être mieux mémorisés, c’est-à-dire de façon plus durable et plus précise – que les événements neutres.
Vous voulez la preuve ?
Où étiez-vous le 18 mars 2008 ?
Il y a peu de chances que vous puissiez me répondre. Sauf, peut-être, si le 18 mars 2008, c’était l’anniversaire de vos 30 ans.
Et maintenant, pouvez-vous me dire où vous étiez le 11 septembre 2001 ?
Eh oui ! Le 11 septembre 2001, nous avons vécu un événement très impressionnant, à impact mondial. Nous avons vu les images en boucle de ces géants d’acier s’écrouler comme des châteaux de sable. Et il y a beaucoup de chances que vos cellules aient enregistré où vous étiez, ce jour-là… pour vous souvenir du danger.
Un événement à forte charge émotionnelle incite votre cerveau à mémoriser un maximum de paramètres... Où étiez-vous ? Avec qui ? Vers quelle heure ?
Que se passe-t-il dans notre tête lorsque nous prêtons attention à quelque chose ? Dans son “Trinity Model”, Michael Posner a élaboré une théorie qui explique que nous prêtons attention aux choses en utilisant trois réseaux de circuits neuronaux séparables, mais totalement intégrés.
Une forte charge émotionnelle va favoriser la mémorisation. Bien que cette idée puisse sembler évidente sur le plan de l’expérience, comme nous l’avons démontré il y a un instant, elle est difficile à démontrer scientifiquement parce que les chercheurs ne sont toujours pas d’accord sur la définition exacte de ce qu’est une émotion.
Lorsque votre cerveau détecte un événement à forte charge émotionnelle, votre amygdale (la sentinelle des émotions) libère de la dopamine, une substance chimique qui facilite considérablement la mémoire et le traitement de l’information. En substance, la dopamine dit au cerveau : « Souviens-toi de ça ! ». De fait, sous cette insistance chimique de la dopamine, le cerveau aura tendance à traiter plus énergiquement les informations concernées.
La dopamine, libérée lorsque nous vivons des émotions, incite le cerveau à garder la trace de ce qui est vécu.
Pour faire rentrer une information dans le cerveau, il faut donc créer les conditions qui installent une impression non neutre, par exemple, en créant un effet de surprise ou en touchant des émotions.
Du point de vue neuroscientifique, une émotion est une impression sensorielle ressentie et traitée d’abord par le pôle bas (voir notre article sur les 6 pôles du cerveau). C’est d’abord une sensation physique : je tremble, donc j’ai peur. Sans ressenti incarné dans notre corps, l’émotion n’existe pas.
Bien sûr, une émotion peut s’exprimer au départ d’une combinaison de sensations. Par exemple, la sueur, le rougissement, la crispation et l’accélération du rythme cardiaque traduiront le fait qu’une personne est intimidée.
Dans le pôle bas, nous retrouvons le cortex limbique (qui ressent des émotions agréables ou désagréables), le cortex qu’on avait l’habitude d’appeler « reptilien » (qui nous permet d’avoir des réflexes de survie, du type j’attaque ou je fuis), mais également certaines aires du cortex haut (insula, aires pariétales associatives pour la mémoire, et aires pariétales miroirs pour l’effet ressenti).
Lorsque la sensation est non neutre et positive, à savoir que nous ressentons du bien-être ou du plaisir, le circuit de la récompense (composé par le cortex préfrontal, le bulbe et les tubercules olfactifs, le noyau accumbens, le septum, l’amygdale et l’hippocampe) s’active sous l’impulsion massive de la dopamine produite. Vous vous détendez et devenez réceptif.
Lorsque le cerveau éprouve une impression de confort, s’installent en nous un état de détente, une ouverture, voire une curiosité pour ce qui est en train de se passer. Cet état de détente constitue la condition essentielle pour s’engager dans quelque chose (la lecture de votre article, par exemple), même quand ce quelque chose pose un défi (le thème est un peu ardu et je n’ai pas beaucoup de temps).
LES ACTEURS DE NOS SCÈNES ÉMOTIONNELLES
L’amygdale : c’est une région cérébrale qui contribue à créer et à maintenir des émotions. L’amygdale détermine rapidement l’effet d’une stimulation. Tout effet neutre la conduit à détourner son attention vers des stimulations concurrentes. Tout effet non neutre l’incite, au contraire, à pousser son évaluation un pas plus loin, afin d’établir si le ressenti est agréable (confort, plaisir) ou désagréable (inconfort, déplaisir). Dans le second cas, l’organisme peut être rapidement alerté et mobilisé. Dans le premier cas, lorsque les indicateurs sont positifs, l’organisme peut être invité à se relaxer et à se rendre disponible.
Le thalamus : c’est le grand aiguilleur qui, 8 à 10 fois par seconde, canalise toute information sensorielle instantanément vers les régions concernées, les sous-corticales (pour vérifier si l’information est neutre ou menaçante) aussi bien que les corticales (si l’information s’avère plaisante), lesquelles informent l’amygdale. Le thalamus inhibe cet aiguillage à l’état d’éveil afin que nous ne perdions pas le fil de ce que nous faisons. C’est lui qui nous fait lever la tête de notre livre pour voir ce qui se passe, puis replonger dans le texte, sans avoir perdu le fil, si ce qu’on a vu produit un effet neutre.
Si votre communication ronronne, si elle est trop convenue, trop formatée, si votre discours reste dans le registre du formel ou de l’abstraction, si les mots défilent sans que rien ne se passe de très émoustillant, vous êtes prévenus, non seulement l’attention de votre lecteur risque de s’effriter, mais surtout, votre message va rester très passager. Sans émotion, vous ne pénétrez pas votre lecteur dans ses cellules. Et il aura vite fait d’oublier vos propos. Rappelez-vous : l’émotion permet la mémoire.
Pour ouvrir les vannes de l’attention et de la disponibilité de votre lecteur, il va vous falloir installer un climat confortable, chatouillant, qui puisse faire penser : « Là, je vais passer un bon moment », « Ici, je sens qu’on ne va pas s’ennuyer », « Ils me mettent au défi, je suis curieux… », « J’ai vraiment envie de maîtriser cela ! » ou encore « Ah, ah, oui, c’est vrai, cela me parle ! ».
En faisant appel au jeu, à l’effet de surprise, à la récompense, au défi ou à l’humour, vous installez un environnement qui stimule la dopamine, la sensation de plaisir à la lecture et la disponibilité du lecteur.
Le psychologue américain Robert Plutchik distingue 8 émotions de base. Dans le schéma ci-dessous, elles sont déclinées en fonction de leur niveau d’intensité. Ainsi, l’émotion de base qu’est la colère peut se décliner en « contrariété », une version douce de la colère, ou en « rage », qui en est la version exacerbée.
Alors, quelles émotions allez-vous susciter chez votre lecteur ?
La roue des émotions
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89motion
Les émotions trop prononcées risquent de ne pas faire l’unanimité. Face à la rage, la terreur, l’aversion ou une admiration sans bornes, vos lecteurs pourront faire deux pas en arrière et prendre de la distance par rapport à vos propos ressentis comme excessifs.
Les émotions trop mièvres, à l’inverse, comme l’ennui, la petite distraction, la contrariété ou l’appréhension n’auront peut-être pas la consistance nécessaire pour attirer véritablement l’attention.
En revanche, certaines émotions d’intensité moyenne, comme la colère, la peur, la surprise ou la joie peuvent toucher le cœur de votre lecteur. Dans notre cours en ligne Rédiger des titres qui génèrent du trafic, nous donnons toute une série d’exemples de titres émotionnels.
Notez l’intérêt de jouer avec deux émotions inédites, qui font partie de ce modèle : la confiance et l’anticipation. Un exemple d’accroche qui jouerait sur la confiance : « Maîtrisez en deux heures la technique de la pyramide inversée. Satisfait ou remboursé ! ». Un exemple de titre qui jouerait sur l’anticipation : « A la fin de ce cours, je vous révélerai mon truc. »… ce faisant, vous créez une émotion d’attente, qui peut augmenter la motivation du lecteur.
Tout le monde n’attribue pas la même charge émotionnelle à un même événement. Par exemple, la vue d’un sachet de tilleul me rend agréablement nostalgique, car il me rappelle ce thé bien sucré que mon arrière-grand-mère m’apportait tous les soirs pendant les grandes vacances. Mais pour vous, peut-être que cela n’évoque rien du tout.
En revanche, certaines émotions sont universelles. Elles sont directement héritées de nos ancêtres et concernent notre survie.
Les émotions identifiées comme universelles sont liées à trois types de phénomènes :
En 1984, un spot publicitaire, qui a fait la légende, avait exploité ces trois leviers pour le lancement du premier ordinateur Macintosh de l’histoire.
Source : https://www.youtube.com/watch?v=e1lmZOi9PvU
(arrêt image à la 32e seconde)
Les 3 émotions universelles sont réunies au sein de son spot :
Ce sont ces stimuli émotionnels qui ont permis au sport publicitaire d’Apple d’entrer dans la légende.
Les trois créateurs de réseaux neuronaux sont l’émotion, l’imitation et la répétition (source : Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner, Albin Michel, 2012, p 138). Sans l’un de ces ingrédients, émotion, répétition ou imitation, pas de rétention !
Rédacteurs et rédactrices professionnels, nous vous encourageons à exploiter les stimuli générateurs d’émotion. Non seulement ils vont vous permettre de capter l’attention de votre lecteur, mais en plus, ils vont le conduire à intégrer et mémoriser votre message, étape indispensable si vous ambitionnez une incitation à l’action. Lorsque nous effectuons un coaching en rédaction, nous accompagnons les professionnels de l'écriture vers une ligne éditoriale plus affective, avec plus de secousses et plus de cœur, en restant attentif à ne rien perdre en crédibilité. Même les thèmes les plus ardus peuvent être rendus captivants.
Les hameçons les plus efficaces suivent 3 principes :
Voici quelques suggestions…
Racontez une histoire
C’est un excellent moyen de capter l’attention ! On retient mieux quand on nous raconte des histoires, qui offrent un fil rouge sur lequel se greffent des sensations et des émotions. Idéalement, l’histoire devra comporter des conflits et des problèmes à résoudre, pour stimuler notre curiosité. L’authenticité y joue également un rôle important.
Le storytelling est particulièrement efficace pour embarquer l’attention. Le sens apporté est générateur d’émotions. Il suffit d’une anecdote pertinente pour apporter ce relief. L’intrigue génère alors un effet de tension particulièrement propice à une attention soutenue.
Proposez un Jeu
Les sens et les émotions sont particulièrement stimulés par le jeu, qui canalise l’attention. L’humeur positive et la décontraction facilitent l’apprentissage. La mise au défi, le plaisir du jeu et la quête de la récompense renforcent la motivation.
Le jeu est un des moyens les plus écologiques en matière d’apprentissage, y compris chez l’adulte. Ce n’est pas par hasard que les petits de mammifères ont en commun de jouer pendant la phase de leur évolution où ils apprennent le plus. Pas un hasard non plus que les espèces les plus évoluées, comme le dauphin, le singe ou le chien, aient tant besoin de jeu.
Créez des effets de surprise
L’effet de surprise démultiplie l’impact d’une information. Tout événement inattendu excite l’attention et produit de l’émotion. Le cerveau réagit fortement à l’imprévu et à la nouveauté.
Depuis des années, on enseigne ce principe aux journalistes : si un chien mord un homme, cela ne crée pas une grande nouvelle ; mais si un homme mord un chien, cela fera la une des journaux.
Donnez une énigme à résoudre
Notre attention est particulièrement stimulée par la résolution de problèmes. Le cerveau anticipe la joie qu’il aura en trouvant la solution, ce qui suffit à activer le circuit de récompense. Il se met immédiatement à produire de la dopamine, hormone du plaisir. Grâce à cette anticipation, le plaisir sera encore décuplé au moment « eurêka » de la résolution.
À savoir : La durée du délai de frustration consenti (tolérer de ne pas savoir tout de suite) est directement proportionnelle à la qualité de la récompense. Si vous promettez monts et merveilles à vos lecteurs, et leur réservez une cacahouète en bout de course, ne vous étonnez pas qu’ils n’aient plus envie de jouer la seconde fois.
Vous aurez sans doute reconnu là un certain nombre de stratégies utilisées par les publicitaires. Le marketing capitalise depuis longtemps sur le jeu et l’émotion pour capter l’attention. C’est moins dans la culture des journalistes et rédacteurs(trices) d’entreprise. Mais les consciences évoluent.
Osez l’humour
Bien sûr, l’humour reste parfois subjectif et ne conviendra pas à tous les contextes. Il peut créer des incompréhensions lorsque votre lecteur n’a pas les clés pour le décoder. Dans les premiers temps d’une écriture pour le web très orientée « mots clés », les jeux de mots, créant un sens figuré, n’étaient pas toujours la meilleure solution pour émerger sur le podium des moteurs de recherche.
Mais aujourd’hui, les choses ont changé. Le potentiel viral a plus de poids que les mots clés dans le nouvel écosystème de communication et les neurosciences nous réconcilient avec le second degré. Osez donc parsemez votre texte de clins d’œil !
Transformez une expérience négative en émotion positive
Ci-dessous, un message d’erreur sur Twitter (qui nous a été communiqué par Dominique Gany, suite à notre article sur le stress). Ça déculpabilise, non ?
Ou ce clin d’œil de Peugeot lors d’une erreur 404 (adresse inexistante). Sur base d’une erreur, qui pourrait nous plonger dans la frustration, l’énervement, la colère, cette réponse nous amène à des émotions telles que l’amusement, l’étonnement, la nostalgie.
Terminons par une petite citation de quelqu’un que nous aimons bien…
« De vous à moi, pensez-vous vraiment que dans une machine aussi parfaite que l’être humain, les émotions ne sont simplement là que pour nous pourrir la vie ? Sans émotion, on ne constate pas de changement durable. C’est la raison pour laquelle je crois que, dans les entreprises, les changements sont si difficiles, car, en fait, on est surtout centré sur l’aspect mental des choses. » – David Lefrançois, psychologue spécialisé en neurosciences.
Livres en neurosciences :
Michael Posner’s “Trinity Model” (en anglais) :
Emotional content, dopamine and attention (en anglais) :
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